Dr. Denis MUKWEGE Président
Denis Mukwege à Butembo: «Je le dis publiquement, aujourd’hui l’armée n’a pas les moyens de nous défendre»

Denis Mukwege à Butembo: «Je le dis publiquement, aujourd’hui l’armée n’a pas les moyens de nous défendre»

Le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege, candidat à la présidentielle de décembre prochain est arrivé ce lundi 27 novembre à Butembo pour entamer sa tournée de campagne dans la région du Grand-Nord-Kivu, meurtrie depuis près de dix ans par des attaques des terroristes des Forces démocratiques alliées (ADF). A son arrivée dans la ville commerciale, le docteur Mukwege a improvisé une marche au centre-ville jusqu’à la place VGH où il a échangé avec des centaines d’habitants venus l’écouter.

Son meeting d’une heure a connu deux moments forts : d’abord son speech de près de 25 minutes pour présenter l’économie de son programme, ensuite une étape de questions-réponses pendant laquelle il a invité des jeunes, des adultes et une femme à rejoindre le podium en vue de présenter les problèmes qu’endurent les peuples de la région et savoir comment l’homme qui sollicite leurs voix pourra les relever, une fois élu président. S’agissant de son programme, Docteur Mukwege a indiqué qu’il pourra «réparer et soigner le Congo» en luttant contre la guerre, la faim et les antivaleurs.

«J’ai porté notre cri de détresse partout, au pays, au niveau régional, à l’international, ça n’a pas marché. J’ai pris la décision de briguer la présidence pour ramener la paix», a-t-il ajouté, évoquant sa motivation à briguer la présidence.

La sécurité pour redonner à Butembo son image d’antan

Même si c’est la première visite du docteur Denis Mukwege, le médecin de Panzi connaît toutefois la ville commerciale du Nord-Kivu de par son histoire.  «Avant la guerre, les gens quittaient Kasaï, Kisangani pour venir s’approvisionner ici à Butembo. La ville et ses environs regorgent de richesses. Mais aujourd’hui, des personnes de mauvaise volonté, les ennemis du développement nous tirent par derrière pour retarder notre essor», a-t-il regretté.  

«Ceux qui nous tuent sans pitié, massacrent hommes, femmes et enfants, ils veulent nous troubler mentalement pour qu’on n’ait pas la force de travailler, de nous développer», a-t-il déploré, évoquant les tueries de Beni qui endeuillent des familles à Butembo et paralyse l’économie. Une fois élu président, Denis Mukwege promet de réformer le système de sécurité en dotant le pays d’une armée puissante, bien motivée et des services de renseignements plus efficaces. Car d’après le docteur Mukwege, les forces armées congolaises dans leur état actuel ne sont pas en mesure de contenir la crise sécuritaire que connaît le pays.  

Sur le volet développement et de l’économie, il promet de combattre le chômage des jeunes qui constitue, d’après lui, un danger pour le pays. Car avec des diplômés sans emplois, les jeunes sont exposés. Mais pour que ces diplômes soient utiles, Denis Mukwege, également enseignant d’universités, promet de réformer le système de l’éducation en organisant des formations qui débouchent sur des professions. Son programme prévoit également la mise en place à travers le pays, des villages agricoles pour relancer la production locale, la transformer en vue d’une valeur ajoutée appréciée à l’exportation. Ce qui pourra aider à relancer l’économie congolaise et maîtriser le taux de change, décrié par le public.

«Le dollar n'est pas notre monnaie.  C‘est une devise étrangère. S’il y a hausse du taux de change, c’est parce que notre économie est fragile, nous ne produisons pas, nous travaillons avec des devises étrangères. On doit mettre fin à cela. Le dollar doit rester en banque, et nous ne devrons manipuler que notre monnaie congolaise. En plus, nous devons produire, mettre en place des usines de transformation de nos productions. On ne pourra plus tout importer. Ça pourra stabiliser le taux», a expliqué le docteur Mukwege.

Sur le volet de l’éthique, Denis Mukwege a expliqué qu’il compte également s’attaquer aux antivaleurs telles le mensonge et le vol qui gangrènent aujourd’hui la vie nationale.   

Butembo et ses problèmes

Après avoir livré l’économie de son programme, Docteur Mukwege a invité les habitants au podium pour parler des problèmes de la région. Des jeunes, des vieux et une femme se sont succédés au parloir. La première à prendre la parole, Micheline Kavira, une déplacée de guerre venue d’Eringeti a évoqué les massacres de Beni comme le plus grand problème de la région. «Je viens vous supplier Mukwege de mettre fin aux massacres», a-t-elle insisté.  

En réaction, Denis Mukwege a réitéré : «Ceux qui peuvent mettre fin aux massacres, ce sont des militaires. Mais notre armée d’aujourd’hui ne peut pas nous garantir une protection (…) Je le dis publiquement, aujourd’hui notre armée n’a pas les moyens pour bien remplir sa mission. Une fois président, nous devons la réformer, savoir si nous avons combien de militaires, quels moyens et comment sont-ils traités».

L’autre habitant, Franck Mukenzi, président du conseil urbain de la jeunesse de Butembo a entraîné Mukwege sur un terrain glissant, indiquant n’avoir pas entendu sa position quant à l’agression du pays par le Rwanda et l’Ouganda.

«Au sujet de l’agression, je pense que vous suivez toujours ma position et elle est claire : cela fait 15 ans que je défends, je plaide pour le Congo dans le monde entier pour combattre ce qui se passe ici, car ça ne se passe jamais dans d’autres pays. Des pays nous envahissent, ils tuent, ils violent, ils incendient tout et le monde entier garde silence», a déclaré le docteur Denis Mukwege, déplorant plus de deux décennies de guerre sous silence de la communauté internationale. «Avec mon programme, nous allons réformer l’armée, recruter des jeunes patriotes partout dans les 145 territoires et les former pour renforcer notre armée. Ce qui est essentiel, c’est de mettre fin à la guerre», a-t-il indiqué.

Un autre intervenant, c’est un vieil opérateur économique qui fait le commerce entre Butembo (Nord-Kivu) et Kisangani (Tshopo). Il a révélé à Denis Mukwege les difficultés qu’ils encourent sur l’axe Butembo-Kisangani, une route en terre batture parsemée des bourbiers et infectées des terroristes ADF qui embusquent des véhicules, tuent des passagers et incendient des engins roulants et marchandises. Pour lui, Denis Mukwege devra faire de la sécurité, la réhabilitation des routes et la lutte contre les tracasseries de la part des services étatiques ses priorités.

En réponse, Denis Mukwege a révélé qu’il compte créer des zones agricoles pour développer l’agroalimentaire, réhabiliter les routes d’évacuation des productions et nourrir le pays.

«C’est inacceptable que même le poireau, Kinshasa puisse l’importer de la chine alors que Butembo peut les fournir s’il y avait la sécurité ou les routes d’évacuation», a-t-il fait remarqué, appelant les habitants à voter pour lui en vue de changer tous ces paradoxes.

«Je voudrais vous interpeller que cette fois ci, si vous commettez l’erreur de voter quelqu’un qui ignore notre souffrance, qui ne connaît rien de la guerre, qui ne connaît pas les conséquences de la guerre, vous auriez voté pour la continuité de notre malheur», a interpellé le Docteur Mukwege.

Claude Sengenya
actualite.cd